La peur, cette émotion universelle, façonne nos dynamiques managériales bien plus que nous le réalisons. En tant que manager, il est crucial de reconnaître son impact.
Crédit photo : Melanie Wasser - Unsplash
Cette compagne souvent ignorée, que l'on tente de laisser à la porte, s'installe discrètement en entreprise, se propageant par contagion : crainte, préoccupation, trac, frousse, panique, appréhension, inquiétude, effroi, angoisse…
Quiconque est payé pour diriger une organisation, impliqué dans la définition de la politique ou porte la responsabilité de la qualité de l’organisation, doit tenir compte du fait que le management des émotions est crucial. Les managers efficaces sont capables de reconnaître que les sentiments des autres envers eux sont souvent liés à ce qui se passe dans le système dans son ensemble. Et, à l’inverse, leurs propres sentiments envers les autres pourraient aussi être en rapport avec ce qui s’y passe.
Anne De Graaf
Anne De Graaf met en lumière une réalité incontournable : les émotions ne sont pas à négliger, et quiconque est impliqué dans la direction d'une organisation doit prendre conscience de l'importance cruciale du management émotionnel.
1. Le rôle fondamental de la peur dans les dynamiques managériales
La peur est une émotion naturelle et nous concerne tous. Éprouver de temps à autre la peur ou l'anxiété n'est pas en soi un problème : c’est normal et utile. Une émotion est une signal, une balise émotionnelle indiquant que quelque chose requiert notre attention.
La véritable difficulté réside dans la capacité à vivre ces peurs avec justesse, au moment opportun et pour des raisons valables.
De par mon expérience, j'ai observé que les managers faisant preuve d’intelligence émotionnelle, capables de reconnaître, d'appréhender et de traiter leurs propres peurs ou anxiétés se révèlent plus efficaces et performants que ceux qui demeurent fermés dans le déni de réalité des émotions perçues ou englués dans ce qu'ils ressentent comme "un magma émotionnel".
Intérêt et limites de la peur
La peur, en tant que moteur de vigilance, joue un rôle crucial en signalant les menaces potentielles, favorisant ainsi la prise de conscience. Elle n'est pas immuable ; au fil du temps, elle peut être maîtrisée, permettant de réduire son emprise. Reconnaître la peur offre une opportunité unique de développer le courage, incitant à agir judicieusement face à l'appréhension.
Malgré ces avantages, la peur peut devenir problématique en raison de son intensité, de sa fréquence, ou de sa permanence. Ces excès ont des répercussions négatives sur la créativité, la collaboration, et la performance globale. Sur le plan de la santé mentale et de la sécurité psychologique, la peur peut paralyser le cortex, entravant la pensée claire, la prise de décisions, et incitant à un comportement superficiel, masquant les véritables pensées et actions.
La peur est un outil de gestion
Le management par la peur
L'utilisation de la peur pour dominer, assujettir, et contraindre à l'obéissance est une méthode de management que certains utilisent. C’est une réalité du monde d’hier et encore trop fréquemment du monde d’aujourd’hui.
Les managers fonctionnant par la peur construisent un système où elle devient une force insidieuse, une tactique instaurant une pression constante et latente au sein de l'équipe, créant un environnement compétitif exacerbé. Cela existe, et il est dangereux de le nier et de ne pas le traiter.
La conséquence néfaste de ce modèle de gestion est la mise en péril de la sécurité psychologique, avec le risque concret de dénigrement, d'exclusion subtile, de remarques sournoises, allant jusqu'à une déstabilisation et aboutissant parfois à l'humiliation et au harcèlement.
Cette toxicité peut se manifester à différents niveaux, allant d'une culture d'entreprise nocive à un manager « petit chef » caricatural.
Un article spécifique sera consacré à cette thématique, soulignant sa délicatesse et son importance extrême. Pour autant, la peur en entreprise est loin d'être réductible à cet aspect.
Le Face-à-Face avec les Démons Intérieurs : le Management de ses Propres Peurs
En tant que manager, le face-à-face avec nos propres peurs est inévitable. La peur s'inscrit souvent parmi les émotions les plus prégnantes dans notre quotidien professionnel.
Certaines peurs sont circonstancielles, étroitement liées aux éléments contextuels et aux défis du moment. À cet égard, ressentir la peur est non seulement normal mais également légitime, dénotant une conscience aiguisée des enjeux. Seuls les irresponsables n’auraient pas peur.
Cependant, au-delà de ces appréhensions circonstancielles, d'autres peurs plus insidieuses émergent, parfois déconnectées de la réalité.
Crainte de ne pas être à la hauteur, peur d’être dépassé, de perdre le contrôle, de déléguer, de s'exprimer librement, et la redoutable peur du jugement, celle de paraître "incompétent", "bête", "nul"…
Vous n’imaginez même pas le nombre de fois que les peurs et les craintes sont évoquées en séances de coaching !
Les hommes se distinguent par ce qu'ils montrent et se ressemblent par ce qu'ils cachent. Paul Valéry
Naviguer à travers ces démons intérieurs exige une introspection courageuse et un management émotionnel avisé pour garantir que ces peurs, bien que présentes, ne dictent pas nos actions et ne limitent pas notre potentiel en tant que leaders.
Traiter les peurs de l’équipe
Le traitement des peurs au sein de l'équipe se révèle être également un enjeu majeur pour tout manager soucieux de la cohésion et de la performance collective.
Illustrons cette nécessité par deux exemples concrets :
Gestion de l'incertitude
Face à une situation totalement nouvelle, comme la mise en place d’un projet sur trois ans empreint d'incertitudes, diverses peurs peuvent émerger au sein de l'équipe. Outre la crainte de ne pas faire pleinement partie du processus, certains membres peuvent redouter l'inconnu quant aux compétences requises pour le projet, tandis que d'autres peuvent craindre une surcharge de travail ou des changements dans leur équilibre vie professionnelle-vie personnelle.
Coupes budgétaires pour sortir d’une situation financière dans le rouge
Imaginons la peur suscitée par la demande de réaliser d'importantes coupes budgétaires alors que toute l’équipe à l’impression d’être à son maximum pour réponse à un bilan d'entreprise dangereux. Les membres de l'équipe peuvent anticiper les efforts considérables que cela exigera, engendrant des inquiétudes quant à la stabilité, l'avenir professionnel, et le bien-être au travail.
Comprendre et aborder ces peurs spécifiques demande une approche sensible du management. En effet, les peurs peuvent paralyser l'innovation, entraver la collaboration, et compromettre la productivité. Le rôle du manager consiste alors à créer un environnement où elles peuvent être exprimées, écoutées et traitées de manière constructive, favorisant ainsi un esprit d'équipe résilient et prêt à affronter les défis avec confiance.
Notre mini-cours vous aidera à envisager comment faire.
Plongée dans l'univers de la Peur : Décryptage de cette émotion universelle
La Peur en Lumière
La peur est une émotion fondamentale. Elle se dessine dans les méandres de notre esprit lorsque nous percevons, anticipons, ou imaginons un danger imminent, une menace tapie, ou un risque menaçant notre sécurité personnelle.
Fonction anticipatrice par excellence, elle orchestre une montée en alerte, éveillant notre vigilance pour nous préparer à l'action imminente. La prudence devient alors notre guide, transformant la peur en une alliée qui nous invite à évaluer les situations avec discernement.
En tandem avec la peur, émerge une gamme de sentiments, allant de légères craintes à des inquiétudes plus profondes. Il est intéressant de noter que la majorité de nos peurs ne sont pas intrinsèquement liées à des circonstances présentant un danger réel, mais plutôt façonnées par notre histoire et le contexte des enjeux qui nous entourent.
Ainsi, ce qui suscite la peur réside souvent dans l'idée que nous nous faisons des choses, plongeant notre esprit dans le monde complexe des représentations.
Les bases neurologiques de la peur
Différents circuits cérébraux sont impliqués dans les réponses de peur, chacun pour différentes composantes. L’amygdale joue un rôle prépondérant dans la perception des menaces : elle reçoit une entrée sensorielle du thalamus et d’autres régions sensorielles, ce qui lui permet d’identifier rapidement les menaces potentielles.
Une fois qu’une menace est détectée, l’amygdale active le système nerveux sympathique, ce qui déclenche la libération d’adrénaline et d’autres hormones du stress. Cela entraîne une série de réponses physiologiques … qui aident à préparer le corps à une action immédiate.
À leur tour, ces réponses physiologiques contribuent également à nos sentiments conscients de peur.
Les détails de la rencontre avec la menace sont encodés et stockés dans l’hippocampe, une région du cerveau impliquée dans la formation et la récupération des souvenirs. Ainsi, lorsque nous rencontrons une situation similaire après coup, l’hippocampe récupère le souvenir stocké et nous aide à reconnaître la menace.
Extrait article : ce qui se passe dans notre cerveau quand on a peur - The Conversation
Les sensations corporelles de la peur : un « ballet » sensoriel
La peur déclenche une série de réponses sensorielles. Ces manifestations, orchestrées par l'activation de l'amygdale et les décharges hormonales, forment un ballet sensoriel .
Les sensations corporelles de la peur
Ces réponses, selon le niveau d’intensité de la peur peuvent être plus ou moins présentes et marquées
😱 Le cœur s'accélère - Comme le battement précipité d'une percussion annonçant le danger, le cœur intensifie son rythme, propulsant l'organisme dans un état d'alerte aiguë.
😱 Le transit s'accélère - Une accélération digestive signale la mobilisation des ressources énergétiques pour une réaction imminente.
😱 Sudations - Des perles de sueur traduisent l'effort physique et émotionnel déployé pour faire face au danger.
😱 Baisse de la température de la peau - Une brise froide s'installe, témoignant des changements physiologiques en réponse à la menace perçue.
😱 Sensation de froid - Un frisson parcourt le corps, signifiant la préparation de celui-ci à l'éventualité d'une action rapide.
😱 Bouche sèche - la sécheresse buccale révèle la tension qui pèse, créant un obstacle à l'expression fluide.
😱 Respiration difficile - La respiration devient laborieuse, chaque inspiration requérant un effort accru. Les poumons peinent à fournir suffisamment d'oxygène, créant une sensation d'oppression dans la poitrine.
😱 Débit de parole saccadé, agitation - Les mots se bousculent, l'agitation exprime l'urgence de communiquer ou de réagir.
😱 Maux de tête - Une douleur plus ou moins intense souligne la tension mentale.
😱 Douleurs à l’estomac - Un nœud se forme, signifiant la concentration des ressources vers les muscles essentiels, au détriment du confort digestif.
😱 Tremblements - incontrôlables, ils peuvent être l'écho physique du tumulte intérieur face à la peur.
😱 Raideurs, crispations - Les muscles se contractent, préparant le corps à l'action immédiate.
😱 Sens en fonctionnement à leur maximum - Les sens, aiguisés se concentrent sur le danger imminent, guidant la décision de fuir ou de faire face.
Pour aller plus loin…
Nos sources en mode solo : 2 livres essentiels pragmatiques, apportant un “outillage” concret
Régis Rossi, Claire Lauzol, Didier Noyé, les pouvoirs de l’intelligence émotionnelle
Sari Van Poelje, Anne De Graaf, Aux frontières de l'innovation
Avec nous 😊😊😊
Vous êtes dirigeant, RH, manager, découvrez comment et en quoi, le coaching implémenté peut vous aider à mieux appréhender la dimension émotionnelle, apprendre à surmonter certaines craintes et peurs.
A moins que vous préfériez commencer par passer le test de quotient émotionnel pour comprendre vos stratégies de fonctionnement pour réfléchir ensuite à un éventuel projet d’accompagnement ? Je suis certifiée pour utiliser le test d’auto-évaluation mis au point par R. Bar-On, qui permet de prendre du recul et de questionner ses stratégies de fonctionnement en lien avec les émotions.
La suite de la newsletter, pour les abonnés 👇
Pour continuer votre voyage vers un management éclairé et épanouissant
👉 Partie 2 - « Gérer » les peurs : manuel pratique pour les managers
👉 Mini-cours - apprenez à « gérer » les peurs en équipe : les normaliser, les tempérer et les réguler
2. « gérer » les peurs : manuel pratique pour les managers
Cette partie plonge dans l'exploration de stratégies spécifiques visant à canaliser la peur de manière constructive dans le contexte managérial. En tant que manager, il est impératif de développer une conscience de soi approfondie pour identifier et comprendre ses propres peurs. L'articulation consciente de ces peurs permet non seulement de les surmonter mais aussi de favoriser la progression.
Les peurs, qu'elles soient évidentes ou enfouies, exercent une influence considérable sur les comportements managériaux.
Je me rappellerais toujours cette cadre ambitieuse, Véronique qui était surprise de prendre conscience que ce qui la bloquait pour avancer vers ses objectifs était le fait d’avoir peur.
Et cet autre client, Jérémy qui n’avait jamais pris conscience que toute son ambition de bien faire, d’être utile, d’être autant énergique était en fait lié à la peur de ne pas être à la hauteur.
Le coaching est une pratique puissante qui peut l’y aider s’y nécessaire.
Dans l'accompagnement des équipes, surtout en période de changement, la reconnaissance des peurs est essentielle. Le manager a tout intérêt à identifier leurs peurs, surtout si elles sont diffuses. Pour éviter bruits de couloir, comportements d’opposition, critiques, fuite, passivité.
D’autant que la peur est contagieuse. Dans La sagesse du psychopathe (2013), Kevin Dutton constate que la plupart des gens, à l’exception des psychopathes, réagissent à la peur et à l’anxiété des gens qui les entourent
‐ Par peur : on multiplie les contrôles et les procédures
‐ Par peur : on évite de parler des vrais sujets
‐ Par peur : on peut devenir obséquieux et rentrer dans des jeux de pouvoir manipulatoires
‐ Par peur : on peut éviter toute évolution de carrière
‐ Par peur : on peut se sur-adapter
‐ Par peur : on peut procrastiner
‐ Par peur : on peut prendre des décisions limitantes ou dangereuses
‐ Par peur : on peut jouer défensif et limiter toute collaboration
Ce ne sont pas les faits qui nous troublent, c’est l’opinion que nous en avons.
Épictète
Mini-cours : « gérer » les peurs en équipe : apprendre à les normaliser, les tempérer et les réguler
Lorsqu'il s'agit de travailler en équipe, la peur et ses sentiments associés peuvent souvent devenir des acteurs majeurs. Bien souvent, au sein d'un groupe, la peur de la peur elle-même est palpable. Ces réactions incluent :
· 👀 Dissimulation : Certains préfèrent rester neutres et impassibles, dissimulant leurs inquiétudes pour maintenir une façade de calme.
· 👀 Minimisation : D'autres tendent à minimiser les craintes, se convainquant que bien que la tâche puisse être difficile, l'équipe réussira à surmonter les défis.
...